Interview du Secrétaire d'Etat dans Fraternité Matin : "Nous aidons les organes de contrôle à être assez outillés pour bien effectuer leur mission"

L’institution existe depuis près d’une dizaine d’années, mais elle est presque méconnue de la majorité des Ivoiriens. Son responsable en dit davantage et dévoile ses missions et ses défis.
Comment expliquez-vous que le Secrétaire d’Etat au Renforcement des capacités soit si peu connu ?
L’histoire de l’institutionnalisation du renforcement des capacités, en Côte d’Ivoire, date de 1999. En effet, la Côte d’Ivoire fait partie des 13 pays ayant bénéficié de l’appui de la Banque mondiale pour mener une évaluation des besoins en capacités nationales afin d’identifier les déficits des capacités humaines et institutionnelles les plus fragilisant dans les domaines vitaux de développement.
Il faut rappeler que la décennie 1990 a été marquée par de nombreuses réformes structurelles impulsées par les institutions de Breton Woods dont la Banque Mondiale, qui a estimé qu’il était important de renforcer les capacités des pays africains pour leur permettre de conduire, par eux-mêmes, les réformes structurelles nécessaires à leur développement économique et social. Par ailleurs, lorsqu’on parle de renforcement des capacités, il faut l’entendre sous trois dimensions.
Le volet institutionnel qui s’assure que les lois sont et règlement sont adaptés à l’évolution de la société et aux défis du développement. Le deuxième volet porte sur l’aspect organisationnel qui consiste à s’assurer que l’administration, le secteur privé notamment les Petites et moyennes entreprises (Pme) et les organisations de la société civile, y compris les coopératives, sont suffisamment outillés pour accompagner le processus de développement. Et le dernier volet est celui des capacités humaines qui consistent à améliorer, par la formation, les attitudes, les aptitudes et les compétences des hommes et des femmes qui animent les organisations. Ce sont trois aspects que nous abordons ensembles, donc de façon historique, qui constituent le renforcement des capacités.
Le Secrétaire d’Etat au Renforcement des capacités a un rôle d’appui et transversale. C’est une institution qui a fait un travail remarquable par le passé et continue aujourd’hui d’en faire mais, du fait de sa transversalité, ses actions se trouvent diluées dans les interventions des différents ministères. En effet, nous travaillons avec l’ensemble des départements ministériels mais aussi avec les institutions telles que l’Assemblée nationale, le Sénat et la Cour des comptes. C’est probablement son rôle d’appui et sa dimension transversale qui explique que le Secrétaire d’Etat au Renforcement des capacités soit si peu connu.
Cette transversalité justifie-t-elle la création d’un secrétariat dédié au renforcement des capacités ?
Il faut dire que le cadre institutionnel relatif au renforcement des capacités a connu diverses évolutions depuis 1999 jusqu’à aujourd’hui et ces réformes sont motivées, chaque fois, par la volonté du gouvernement de mettre le renforcement des capacités au cœur des enjeux de développement car, sans capacités solides, il ne peut y avoir de développement.
Les capacités sont pour le développement ce que le moteur est pour la voiture. Au départ, la question du renforcement des capacités était portée par l’ex-Direction et contrôle des grands travaux (Dcgtx) qui est devenue le Bureau national d’études techniques et de développement (Bnetd). Ensuite, au terme de l’évaluation des besoins en capacités nationales commanditée par la Banque mondiale, un Secrétariat national au Renforcement des capacités a été créé (en 1999) et rattaché, plus tard, à la Primature pour pouvoir assumer sa fonction transversale.
De ce fait, le Secrétariat national pour interlocuteur les membres du gouvernement. C’est eu égard à l’intérêt que le Chef de l’Etat et le Premier ministre portent à la problématique du renforcement des capacités nationales que le Secrétariat national au Renforcement des capacités a été érigé en institution gouvernementale pour que nous ayons les moyens institutionnels nécessaires pour mener à bien notre mission d’accompagnement et de coordination.
Est-ce vous qui allez vers les administrations ou plutôt elles qui sollicitent votre accompagnement ?
Pour identifier les besoins de renforcement des capacités au sein des administrations tout comme au niveau du secteur privé et de la société civile, nous disposons de points focaux. Ces points focaux constituent un maillon important dans le dispositif de coordination et jouent un rôle essentiel dans la collecte et la transmission des données nécessaires à l’élaboration des programmes de renforcement des capacités issus des diagnostics effectués.
L’un des programmes importants que nous avons conduits, avec l’appui technique et financier de la Fondation pour le développement des capacités en Afrique (Acbf), institution spécialisée de l’Union Africaine, est le Programme des pays de renforcement des capacités (Pprc). L’exécution de la première phase de ce programme, qui a duré cinq ans, vient de s’achever et la préparation d’un nouveau programme est en cours dans le cadre de l’élaboration de la stratégie nationale de renforcement des capacités.
Pourrait-on avoir une idée des besoins en renforcement des capacités généralement exprimés ?
Les besoins en renforcement des capacités exprimés sont de divers ordres. Nous recevons généralement des besoins en matière de formation parce que les usagers réduisent, très souvent, la question du renforcement des capacités à la formation. Dans ce cas, nous les orientons vers les institutions dédiées ou nous leur apportons de l’aide nécessaire pour obtenir l’appui dont ils ont besoin. Bien que nous soyons amenés à exécuter certaines tâches, il est essentiel de noter que nous avons une mission de coordination et non de formation.
Il y a également des besoins d’appuis institutionnels et organisationnels qui sont exprimés. Il s’agit notamment d’appuis relatifs à la conduite de réformes telles que celles du secteur de la presse et de la communication audiovisuelle et l’institution de l’appel à candidature pour le recrutement des Directeurs généraux des règles financières (Douanes, Trésor et Impôts) ; l’élaboration des projets de lois notamment ceux portant sur la prévention et la lutte contre la corruption et les infractions assimilées ainsi que celui portant Code de déontologie des agents publics ; l’élaboration de documents de politique, de plans d’action stratégiques du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, de la Commission nationale du mécanisme d’évaluation par les pairs (Cn-Maep), de la Commission d’accès à l’information d’intérêt public et aux documents publics (Caidp).
Par ailleurs, le Secrétariat d’Etat au Renforcement des capacités a initié, dans le cadre du Pprc, la mise en place des Référentiels des emplois et des compétences dans l’administration en vue de permettre à chaque département ministériel de disposer de données sur les corps de métier, les emplois et les profils nécessaires pour occuper des postes spécifiques. Nous avons également accompagné l’Ecole nationale d’administration dans le cadre de la révision de ses curricula de formation pour les adapter à l’évolution du contexte national et international de gestion des administrations et au défi de la conduite des réformes structurelles.
Nous sommes aussi présents dans les cadres nationaux de pilotage des réformes telles que le Comité national de suivi de la mise en œuvre de la réforme des finances publiques (CONAFIP), la Cellule de suivi des indicateurs du MCC, l’Open Government Partnership (OGP) pour y apporter notre contribution. Par exemple, dans le cadre du CONAFIP, nous avons la conduite de deux réformes importantes à savoir : l’élaboration des lignes directrices pour la délégation des pouvoirs de signature dans l’administration et l’introduction de la contractualisation et des contrats d’objectifs dans l’administration.
Ces réformes que nous conduisons sont extrêmement importantes dans le cadre du basculement du budget-moyen au budget-programme puisque désormais chaque acteur de l’exécution des programmes devra être lié à l’administration par un contrat de performance ou un contrat d’objectifs. Vous constatez donc que nous répondons à des besoins variés et importants inhérents à la complexité et à la spécificité de notre domaine de compétence qui est le renforcement des capacités.
Une fois les différents outils conçus et mis en œuvre, avez-vous le mandat de faire le suivi ou le contrôle ?
Nous n’avons pas pour mandat spécifique d’effectuer des contrôles mais nous renforçons également les capacités des organes et des institutions en charge des contrôles. Par exemple, la Cour des comptes est un bénéficiaire de nos interventions. En effet, nous allons renforcer les connaissances et le savoir-faire des magistrats et des vérificateurs de la Cour des comptes en matière de vérification des comptes de l’Etat et des collectivités territoriales. Par ailleurs, nous travaillons avec la Commission des affaires économiques et financières de l’Assemblée nationale dans le cadre du contrôle de l’action gouvernementale. Nous comptons dès cette année, étendre nos interventions à la deuxième Chambre du Parlement qui vient d’être mise en place, à savoir le Sénat. Donc, s’il est vrai que nous n’effectuons pas de contrôle, nous contribuons néanmoins à faire en sorte que les organes de contrôle soient assez outillés pour bien effectuer leur mission.
Y a-t-il des difficultés que vous rencontrez sur le terrain, dans la conduite de vos missions ?
Le grand challenge, c’est celui de la coordination et de la concertation. Dans les termes de référence de notre mandat, notre mission à coordonner à la fois les interventions des acteurs nationaux en matière de renforcement des capacités mais aussi celles des Partenaires techniques et financiers. Nous sommes conscients du défi qu’il nous faut relever en matière de coordination car cela demande beaucoup de concertation, de communication et de collaboration mais aussi la disposition d’outils et d’instruments de travail appropriés.
C’est pourquoi nous nous attèlerons à la mise en place d’un Comité multisectoriel au renforcement des capacités, par la prise d’un texte, qui sera un cadre multi-acteurs et multi-niveaux de concertation et de collaboration sur les problématiques liés au renforcement des capacités. Ce cadre sera accompagné d’outils et d’instruments tels que les Points focaux, le document de stratégie nationale de renforcement des capacités nationales. Le Conseil des ministres a donné son accord pour la conduite des travaux en vue de l’élaboration de la stratégie nationale de renforcement des capacités qui est un document essentiel dans la conduite de la politique en matière de renforcement des capacités car il constitue le cadre pragmatique unique de toutes les actions de renforcement des capacités qui doivent être menées pour accompagner la mise en œuvre du prochain Plan national de développement.
Nous serons accompagnés dans cet exercice par, notre partenaire africain, la Fondation pour le renforcement des capacités en Afrique (ACBF). Il s’agit, surtout, d’un exercice participatif qui impliquera l’ensemble des acteurs nationaux du secteur public, du secteur privé, de la société civile mais aussi les Partenaires techniques et financiers pour que nous ayons une politique nationale et un document de stratégie consensuel. De la stratégie nationale découlera un nouveau programme de renforcement des capacités.
Vous intervenez sur la notion de l’Ivoirien nouveau. Pourrait-on en savoir davantage ?
En 2015, le Chef de l’Etat, dans le cadre de son programme de société pour son nouveau mandat, a mis l’accent sur l’Ivoirien nouveau, c’est-à-dire, un Ivoirien qui met l’intérêt de la nation avant tout autre intérêt partisan, qui œuvre, par ses actes, à consolider la paix et la cohésion et qui contribue au rayonnement de la Côte d’Ivoire. Car, on a beau avoir des réformes institutionnelles, on a beau avoir des acquis en matière d’infrastructures, si on n’a pas les hommes et les femmes qu’il faut, l’éthique qu’il faut, il sera difficile d’aboutir au développement voulu ou souhaité.
Cette vision du Président de la République cadre parfaitement avec les récentes conclusions de l’étude organisée par l’ACBF en 2019 et portant sur le leadership transformateur. Selon les Conclusions de l’étude réalisée par cette institution spécialisée de l’Union africaine, le défi majeur auquel les Etats africains sont confrontés, est celui du leadership transformateur au niveau des principaux acteurs de développement. Et qui parle de leadership transformateur, parle de changement de mentalité, de changement de paradigme au niveau individuel car chaque citoyen doit se sentir acteur du développement et du changement. Le rapport 2019 de ACBF intitulé « Encourager le leadership transformateur pour le développement de l’Afrique » détaille assez bien les conclusions de cette étude. A côté de cette étude, il y a notre Etude nationale prospective (Enp-CI 2040) qui a révélé que sans cet Ivoirien nouveau qui développe un certain nombre de valeurs portées sur l’amour de la patrie, la recherche de l’intérêt général, la culture de l’excellence, le travail, le respect des institutions et de la chose publique, l’honnêteté, les efforts de développement risquent d’être contrariés.
C’est pourquoi, le Secrétaire d’Etat au renforcement des capacités a jugé important de faire de la promotion de l’Ivoirien nouveau par le leadership transformateur, un axe fondamental de ses interventions pour donner corps à la vision du Chef de l’Etat. Nous y travaillons ardemment.
Le changement de mentalité est tout de même une œuvre de longue haleine…
Absolument ! De toutes les façons, le développement ne se produit pas en une génération. Nous devons intégrer le fait que le développement est un processus long. Les transformations structurelles qui doivent aboutir au développement demandent de la patience et de l’abnégation…
C’est une question de longue haleine… Et nous voulons aller plus loin avec le projet de promotion du leadership transformateur par la mise en place d’un Institut national du leadership transformateur. L’Etat de Côte d’Ivoire dispose de compétences, mais l’un des défis auxquels nous sommes confrontés, c’est le comportement, le savoir-être qu’il faut davantage développer. L’institut de leadership va s’atteler à cette tâche.
En outre, nous sommes déjà engagés dans l’élaboration et l’édition d’u ensemble d’outils et d’instruments sur le leadership transformateur dans le cadre de la promotion de l’Ivoirien nouveau. Il s’agit, entre autres, d’un manuel qui déclinera les différentes valeurs qu’il nous faudra développer à tous les échelons et à tous les niveaux. Car, il y a des comportements que nous devons développer si nous voulons atteindre le développement durable.
C’est un processus qui n’est pas le fruit du hasard, ce sont des mécanismes à mettre en place, des conduites à adopter pour y arriver. Certains pays, tels que la Corée du Sud, sont passés par là et nous nous inspirons de leur expérience pour construire notre propre modèle basé sur l’Ivoirien nouveau porté par le leadership transformateur. Chacun d’entre nous, devrait pouvoir s’approprier ce modèle, si nous voulons atteindre le développement durable.
Autant de défis que vous entendez relever…
Oui. Et les défis sont à la hauteur de nos ambitions et de la confiance que le Chef de l’Etat a placé en nous. La vision du Secrétariat d’Etat au renforcement des capacités est d’adapter continuellement les capacités aux évolutions du contexte mondial, ainsi qu’à la croissance et à la variation des besoins nationaux de façon à améliorer et à accélérer la mise en œuvre des réformes de transformation structurelle de l’économie nationale. Nous ne pouvons pas atteindre cette vision seule ; c’est pourquoi, il nous faut mettre en place ce cadre de concertation et de collaboration multi-acteurs et multiniveaux sur les capacités nationales et les actions de renforcement des capacités.
L’autre défi, c’est bien la promotion de l’Ivoirien nouveau par l’implémentation du programme de leadership transformateur.
Le troisième défi qui reste récurrent, est celui des ressources financières nécessaires pour apporter une réponse appropriée aux besoins de capacités, énormes et importants, exprimés par l’administration, le secteur privé et la société civile. En perspectives, nous attendons le document de stratégie nationale de renforcement des capacités qui doit nous permettre d’aboutir à un deuxième programme pays, notre instrument d’intervention auprès des différents bénéficiaires de nos prestations.
In FRAT MAT N° 16 650 du Lundi 22 Juin 2020.
DOCUMENTATIONS
- Rappel des principales missions du Ministère
- FEUILLE DE ROUTE 2023
- Décret 2022-301 du 4 Mai 2022 portant attribution des membres du Gouvernement
- Décret 2021-463 du 8 septembre 2021 portant organisation du Ministère
Liens utiles
- LA PRESIDENCE La Présidencede cote d'ivoire
- LA PRIMATURE Primature de Côte d'Ivoire
- CICG Le portail officiel du gouvernement
- MFPMA Ministère de la Fonction Publique et de la Modernisation de l'Administration:
- ACBF African Capacity Building Foundation
- PNUD Programme des Nations unies pour le Développement
- AMBASSADE D'ALLEMAGNE Ambassade Allemande en CI